Que penser du RGE ?

Article écrit le 6 juin 2014

RGE : de bien belles ambitions affichées…

A quelques mois – juillet 2014 – de l’écoconditionnalité obligée des aides publiques selon le critère de qualification Reconnu Garant de l’Environnement « RGE », le RÉSEAU Écobâtir et l’association Approche-Écohabitat se félicitent de constater que les préoccupations environnementales et sociétales qui motivent notre démarche depuis quelques 20 ans commencent – enfin ! – à émerger de manière incontournable parmi les acteurs du « marché ». Comment ne pas applaudir à l’ambition globale affichée, qui associe des objectifs quantitatifs et vérifiables de performance environnementale du bâti avec comme moyens d’y parvenir la montée en compétence de tous les acteurs de l’acte de bâtir, la promotion d’une approche holistique 1 prenant en compte le contexte de l’acte de concevoir et bâtir, plus une campagne de communication grand public d’une envergure et d’une lisibilité jamais encore déployée dans le domaine timide de l’environnement, permettant d’espérer une réelle prise de conscience de l’urgence d’agir par le contribuable consommateur ?

L’adoption inédite dans la tradition industrialiste française d’une philosophie d’obligation de résultats – revendication de longue date du RÉSEAU Écobâtir et de l’association Approche-Écohabitat – et l’abandon de celle d’obligation de moyens pourrait sembler une véritable révolution culturelle ; elle aurait effectivement bien pu l’être… si elle avait su dépasser l’effet d’annonce spectaculaire et éviter le flou, l’arbitraire et le détournement d’objet qui caractériseront ici la mise en musique de la partition écrite par le législateur.

Le RÉSEAU Écobâtir et l’association Approche-Écohabitat s’interrogent donc sur les multiples incohérences et absurdités du système mis en place.

… trahies dans leur mise en œuvre

 La sémantique trompeuse de la qualification RGE, dont la meilleure illustration restera sans doute l’impayable transformation de « Grenelle » en « Garant », prêterait presque à rire si les conséquences n’étaient pas si dramatiques pour la planète, pour les finances publiques et pour les savoir-faire innovants des pionniers de l’éconconstruction délibérément niés.

Tout d’abord, comment oser prétendre pouvoir devenir « garant » de l’environnement du jour au lendemain sans trop changer ses pratiques, quand les seuls aspects thermiques sont effectivement valorisés ? Les notions de confort et de qualité de l’air ne sont pas abordées (excepté sur la plaquette du « RGE études ») ; et il n’est nullement fait cas d’impacts environnementaux tout autant préoccupants, comme l’énergie incorporée, l’impact transport des matériaux de construction mais aussi des usagers, la prédation des ressources naturelles non renouvelables, l’impact sur le cycle de l’eau, la rémanence de déchets nocifs en fin de cycle, l’émission de particules nocives en utilisation, le respect du patrimoine culturel, l’impact sur la biodiversité, etc.

Quand seule une véritable analyse multicritères pourrait permettre de qualifier l’excellence environnementale, force est de constater qu’avec RGE, on est loin de l’ambition affichée d’une démarche holistique.

On en est même de plus en plus loin, car une des conséquences insidieuses de la mise en place de RGE uniformément sur l’ensemble du territoire sans se préoccuper de subsidiarité 2 a été l’abandon de politiques volontaristes par certaines collectivités locales souhaitant se repositionner à minima en phase avec la politique gouvernementale ; collectivités qui étaient jusqu’à présent en pointe sur telle ou telle problématique en adéquation avec le contexte territorial au-delà des seuls aspects thermique (gestion de l’eau, par exemple). Un petit pas en avant, deux grands pas en arrière !

Certes, il existe théoriquement une possibilité d’écoconditionnalités de financement public pour certains systèmes de récupération d’eau de pluie, mais celles-ci sont non cumulables avec les aides à la « performance » thermique et très largement inférieures en valeur : de telles conditions d’attribution font qu’il n’y est quasiment jamais recouru. À noter par ailleurs qu’il n’existe pas – encore – de qualification pour ces aides… Il est aberrant de constater que le recours au polystyrène comme matériau d’isolation est compatible avec la qualification RGE « Reconnu Garant de l’Environnement » tandis que la préservation de la ressource en eau ne l’est pas ! L’objectif initial de lisibilité de la performance environnementale du bâti par le consommateur contribuable (souvent néophyte) est dévoyé ; quant à la lisibilité de la démarche, elle semble délicate tant les différences entre le cadre « RGE études » et « RGE travaux » sont nombreuses.

Montée en compétence des acteurs : de qui se moque-t-on ?

C’est sans doute au niveau de la fameuse qualification que l’on atteint le summum de l’imposture institutionnalisée et du détournement de l’esprit de la loi.

Les professionnels de l’acte de bâtir se retrouvent de ce fait dans des situations surprenantes d’incohérence (voir http://site.reseau-ecobatir.org/temoignages/).

Il s’agit avant tout de ne pas confondre montée en compétence et avantage concurrentiel. Or dans RGE, il y a clairement volonté de qualifier l’entreprise et non l’œuvrier ou le concepteur, comme le lapsus révélateur « former les entreprises 3» le laisse entendre de la part de certaines Organisations Patronales. Le dispositif RGE n’est donc aucunement une preuve de compétence des intervenants chantiers ou des concepteurs, mais ni plus ni moins un label commercial, sésame d’accès au financement de la filière matériaux par le contribuable (via le CIDD, l’ÉcoPTZ…).

La « montée en compétences » concerne de fait avant tout la capacité à entrer dans ce système.

Car on ne peut pas non plus décréter la montée en compétence avec un seul référentiel de formation pour tous, sans pré-requis, sans tenir compte des métiers, de ceux qui sont plus avancés dans leur expérience, mettant ainsi dans le même panier des pionniers qui pratiquent la qualité environnementale multicritère depuis des années et de nouveaux convertis aux arguments écolo-thermiques… sonnants et trébuchants.

L’abandon de la mission d’intérêt général que représente la transformation énergétique et environnementale du parc bâti au profit d’intérêts privés est inacceptable. Nous nous interrogeons sur la légitimité qu’ont les industriels pour pouvoir prétendre former efficacement les artisans et entreprises du bâtiment à autre chose qu’à l’utilisation de leurs produits. Nous n’osons penser que le Ministère Public a la naïveté de croire que la mission de contrôle de « l’objectivité et de l’impartialité des formations dispensées par les industriels » peut être accordée … aux industriels eux-mêmes.

Laisser autant de marge de manœuvre aux industriels comme c’est le cas est contre-productif au regard même des objectifs que se donnait la mention RGE « Reconnu Garant de l’Environnement ». En lieu et place de la montée en compétence émancipatrice attendue, nous aurons la vassalisation des entreprises transformées en sous-traitants, cotisant au passage au réseau des négociants bienveillants. Pour toute amélioration de la qualité environnementale des projets, nous aurons une explosion de composants et d’accessoires permettant de rénover « hors sol ». Enfin pour tout « développement d’emplois de proximité qualifiés » nous aurons une hausse des cessations d’activité et une perte tragique de savoir-faire adaptés au contexte local.

Acheter une certification et une formation FEE Bat bâclées en 3 jours – information serait plus exact – ne saurait surtout pas garantir une montée en compétence, le contenu est bien trop succinct et les conditions d’obtention ne sont pas suffisamment exigeantes (Contrôle de connaissance sous forme QCM 4).

Alors que cette disposition est prévue et rappelée dans la charte RGE5, il n’existe pas de système de validation d’acquis, ni de dispositif pour la reconnaissance ou l’équivalence des diplômes cadrés explicitement, et ce alors que la charte RGE existe depuis 4 ans (9 novembre 2011).

Ainsi, un BTS thermicien gérant salarié d’une SARL artisanale de maçonnerie qui après plusieurs années d’études puis d’exercice de sa profession est apte à identifier les pièges thermiques et décrypter les simulations thermiques dynamiques… sera quand même obligé d’aller payer son écot FEE Bat… et considéré au même niveau « d’excellence environnementale » qu’un artisan conventionnel dont le domaine de compétence ne saurait faire évoluer profondément la pratique de son métier après 3 jours d’initiation.

Que dirait-on d’une qualification entreprise en Résistance des Matériaux acquise en 3 jours de découverte RDM, mais qui permettrait de réaliser de la prescription ?

Or dans le cas de FEE Bat, bien peu s’émeuvent de l’imposture qui consiste à encourager des artisans à prescrire un « bouquet de travaux », et leur faire croire que FEE Bat leur suffit pour en être capables. En réalité, ce travail ne devrait pas être confié aux professionnels qui dépendent des solutions mises en œuvre car cela ajoute un surcroît de travail non rémunéré et peut être porteur de « conflits d’intérêts » (conseiller des travaux qui ajournent un chantier en période de crise, ce n’est pas réaliste pour une petite entreprise !).

Ce ne sont pas nos métiers, ce n’est pas notre culture, et avec si peu de compétences « holistiques » acquises en 3 jours… on risque fort de subir une augmentation exponentielle des désordres dus à l’inadéquation avec la complexité du bâti des solutions technologiques industrielles prescrites ; surtout pour les techniques patrimoniales anciennes en réhabilitation.

En fait, l’obligation de résultats relève d’une simple obligation de moyens travestie.

Et même sans désordre, quand la performance n’est pas au rendez-vous6, vers qui se retournent les Maîtres d’Ouvrage pour la prise en compte de leurs factures énergétiques imprévues ? Qu’en pensent les assureurs ?

Ce système qui, depuis 2011, n’avait pas rencontré l’engouement escompté par ceux qui l’avaient mis en place, devient de par son caractère désormais incontournable une catastrophe en gestation. Puisqu’il y avait trop peu de personnes formées et labellisées, malgré tous le battage médiatique mené par les organisations professionnelles et l’ADEME, il a fallu avoir recours au bâton de l’écoconditionnalité pour sauver le système. Car ne nous leurrons pas, la « carotte » des aides est illusoire, la réalité est tout simplement l’exclusion programmée des insoumis à RGE et la mise au pas des autres ; pour s’en convaincre, il suffit de voir comment Organismes de Formation et Organisations Patronales considèrent avant tout RGE comme un « avantage concurrentiel ». Si cette certification est bâtie en tant que tel, le Ministère Public n’a rien à faire dedans et l’écoconditionnalité ne saurait avoir une quelconque légitimité. Si c’est une démarche commerciale, elle n’a pas plus de valeur qu’un quelconque label.

Accessibilité à RGE : une disparité criante de traitement 

Si le financement de la formation FEE Bat n’est pas assumé par les professionnels eux-mêmes (grâce au système des Certificats d’Économie d’Énergie), on oublie souvent de leur signaler que, par contre, la certification est grandement coûteuse. Par exemple, une certification performance énergétique coûtera 300€ d’achat d’un logiciel obligatoire (certification Éco Artisan®), plus 287€ par an, plus les frais d’un déplacement tous les 3 ans pour l’audit RGE. À cela, il convient d’ajouter une semaine de réalisation du dossier à minima. Sachant que les coûts annuels comptent pour chaque spécialité et que celles-ci sont découpées d’une façon qui ne favorise pas la multi-activité[7]. Le surcoût généré pour une activité souvent déjà exercée par le professionnel, ainsi que le temps et l’énergie dépensés seront naturellement répercutés sur les clients qui paieront indirectement une partie du coût du dispositif sensé lui permettre de bénéficier d’aides. Quand ce ne seront pas tout simplement les entreprises qui seront menacées de fermeture pour n’avoir pas su rentrer dans le moule (ou ne l’auront pas accepté), que leurs pratiques professionnelles soient vertueuses ou non.

Les entreprises de grande taille sont favorisées par les économies d’échelle et par le fait qu’il suffit de désigner un technicien par structure tenu de se former. Les petites entreprises avec multi-activité sont au contraire lourdement désavantagées.

Les premiers à avoir été labellisés « Éco Artisans® » et « Professionnels de la performance énergétique® » sont devenus RGE sans être passés par une procédure de certification accréditée par le Cofrac. Que va-t-il se passer lorsqu’ils seront contrôlés ? Actuellement, les premiers audits ont commencé et les résultats réels sont trop mauvais. Pas de références chantier ou des références sans rapport avec la performance énergétique. Le système court à la catastrophe.

Pour ce qui concerne les formations FEE Bat, on assiste au même système à 2 poids 2 mesures entre les organismes de formation. La mise en place du système sans transparence, réalisée en partie par ceux qui en bénéficient, n’apporte aucune garantie de qualité aux professionnels. Aucune vérification de la qualité n’est actuellement en place pour les formations FEE Bat rémunérées à 31€/heure/stagiaire ; les organismes de formation nouvellement arrivés sur le marché sont tenus de faire une démarche de certification (2300€/an en moyenne) pour monter des formations « équivalent FEE Bat » n’ayant pour l’instant aucune reconnaissance officielle et ne leur permettant pas d’accéder aux rémunérations juteuses des CEE. Il y a urgence à mettre de l’ordre dans ce système à 2 vitesses !

Des objectifs sous-jacents non avouables ?

On ne peut écarter l’idée selon laquelle RGE et écoconditionnalité, sous couvert d’un verdissement du secteur, pourraient être l’occasion :

  • de servir un objectif de concentration du secteur (complexité du dispositif, inadaptation des qualifications à la diversité de la rénovation, temps à allouer pour rentrer dans les cases…),
  • de renforcement des organisations « professionnelles » – en fait patronales – (cotisations et reversements de la manne financière de la formation Fee Bat),
  • de permettre à l’industrie et au négoce de faire reconnaître comme formation leur « marketing formatif », formater leur clientèle sur les fonds publics et leur accorder le précieux sésame.

La procédure de rédaction de la Charte RGE est en soi déjà étonnante : elle a été signée non complète. Qui finira la rédaction ? Ainsi, les Organisation Patronales, entre autres, ont signé un chèque en blanc ! Peut-être que les acteurs réunis pour signer la charte étaient si peu nombreux – pour mieux se répartir le gâteau ?? – que cet « entre nous » leur restera de toute manière très favorable 7

Il est par conséquent logique et légitime de se poser des questions quant aux tenants et aboutissants d’une telle OPA sur le monde du bâtiment en général et sur la multitude indisciplinée de l’artisanat en particulier.

En plus des industriels formatant leur clientèle captive, à qui profiterait une concentration du secteur avec de grosses entreprises artisanales « prescripteurs » de bouquets de travaux et les redistribuant aux entreprises vassales « co-traitantes »? Le marché de la réhabilitation avait jusqu’à présent échappé aux Constructeurs de Maison Individuelle… la porte leur est désormais grande ouverte.

Certaines pratiques à priori non concernées sont incluses malgré tout dans cette procédure (appel offre public) : est-ce un manque de discernement de communication ? Où d’une tentative délibérée de « forcer la main », une tactique de fait établie pour détourner le code des marchés publics de son but de transparence et d’équité dans les pratiques concurrentielles ?

Vers une véritable régression de la qualité environnementale

Mais surtout concernant les pionniers de l’écoconstruction et de l’approche environnementale multicritère, la non-reconnaissance des techniques et pratiques artisanales originaires de savoir-faire traditionnels et expérimentaux est une véritable insulte à l’intelligence en plus d’une menace de disparition pure et simple par asphyxie économique8.

En effet, s’excluront d’eux-mêmes les artisans indépendants, car s’ils ont seulement chaque année 1 ou 2 chantiers potentiellement en éco-PTZ, CIDD, subvention ANAH, TVA 5.5% etc. ils ne feront pas la démarche RGE, car trop compliquée, trop chère et surtout inutile et absurde au vu de son faible niveau de performance environnementale réelle !

Ce marché pourra donc être capté par les entreprises conventionnelles qui exploitent de la main d’œuvre sous-traitée sous payée et à faible savoir-faire pour la mise en œuvre de matériaux industriels à forte intensité énergétique… avec les risques pour la pérennité des ouvrages du petit patrimoine, terre, pierre, bois de pays… que ces solutions industrielles de type ITE collé sur des murs de construction d’avant 1950 ne manqueront pas de ruiner.

Vont donc s’écarter d’eux-mêmes les métiers non concernés par les écoconditionnalités, les artisans déjà très performants écologiquement (avec comme indicateurs la qualité multicritère des réalisations, la satisfaction des clients, une faible sinistralité) et pratiquant l’architecture de cueillette, qui se refuseront à transiger avec la qualité de leur mise en œuvre de matière première brute et ne se soumettront pas aux diktats normatifs aberrants.

Premiers de la classe hier, ils ne pourront plus exercer demain sauf à trahir leur métier et devenir « écologiquement mauvais, comme les autres ».

Des solutions efficaces, moins coûteuses
pour le contribuable, équitables et émancipatrices?… il y en a pourtant ! 

 

 


1 [Approche holistique : interactions complexes dans le fonctionnement propre du bâtiment en soit mais aussi avec son environnement et ses occupants.

2 Selon le principe de subsidiarité, la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème.

3 Intervention de la responsable formation de la CAPEB 56 en réunion du Plan Bâtiment Durable Breton, reprise régulièrement par les élus CAPEB et FFB.

4 Avec des questions ne nécessitant aucun niveau spécifique de formation… (Exemple de question du type : « un client me laisse un message sur mon répondeur, dois-je : 1/ Le rappeler. 2/ Laisser courir, j’ai du boulot ») … On est en droit de se demander quelles compétences sont réellement évaluées et si cette évaluation permet réellement de déterminer la compétence à réaliser des ouvrages de performance thermique.

5 Page 14 de l’avenant

6 Notamment car les outils de calculs utilisés ne sont pas fiables (logiciels trop simplistes, quand ils fonctionnent !)

7 En effet, les mêmes acteurs qui sont les signataires de la charte sont les membres du comité de pilotage du dispositif FEE Bat et de plus, pour la CAPEB et la FFB, détiennent des marques de certification RGE (incontournable jusqu’en décembre 2013), et proposent des formations FEE Bat au travers des organismes de formation qui leur sont rattachés.

8 Lors d’une enquête menée en Bretagne par l’association Approche-Écohabitat auprès de 173 personnes, dont 85 professionnels en exercice, 4 personnes ont répondu que leur structure est RGE, 60% n’envisagent pas d’être certifiés RGE, 53% ne souhaitent pas suivre une formation FEE Bat. Les raisons de ce dernier choix font apparaître l’absence de besoin, l’attente d’une visibilité commerciale, la non-compatibilité avec leurs convictions éco-constructives et une expertise de terrain non prise en compte par l’obligation de formation.