Publié le 6 juin 2014 par le réseau Ecobatir
Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Ségolène Royal
Madame la ministre du logement, Sylvia Pinel
Madame la ministre,
En tant que professionnels et associations de promotion de l’écoconstruction, nous ne pouvions que nous réjouir de la volonté affichée de promouvoir et développer les pratiques de développement durable que nous défendons pour notre part depuis des dizaines d’années.
De nécessaires savoir-faire construits en situation
L’idée d’amener un plus grand nombre d’entreprises à acquérir des pratiques vertueuses nous semble indispensable. Nous aurions même été disposés à donner des pistes pour atteindre cet objectif, tant il est vrai qu’en terme de conception et de construction de bâtiments respectueux de l’environnement, les paramètres sont complexes, les savoir-faire multiples, une vraie formation indispensable. Ces compétences, nous les avons acquises au fil du temps, dans la pratique quotidienne de nos métiers et ce depuis une époque où le terme « développement durable » n’existait pas encore. C’est l’acquisition de ce savoir-faire permettant l’intelligence de la situation qu’il aurait fallu encourager…
Les professionnels de l’écoconstruction n’ont pas été consultés
Mais dans la mise en place du processus RGE, seules ont été consultées les Organisations Patronales (ont-elles bien mesuré les conséquences pour leurs adhérents ?), l’ADEME (qui, si elle a une vision bien trempée du volet thermique, manque de culture chantier et, sur ce dossier, d’une approche environnementale globale), les industriels (conflit d’intérêt ?)… Non seulement nous n’avons pas été entendus, mais encore, nous avons été témoins de discours très défiants vis-à-vis des artisans. Et pour finir, les pionniers de l’écoconstruction sont sommés de suivre la même procédure que les anciens cancres (promus premiers de la classe) faute de quoi ils seront évincés du marché. Il nous semble que l’intention de départ s’est dissoute dans la complexité du système mis en place sans garde-fou.
Une obligation de moyen qui n’apporte pas de garanties
Comme le révèle l’enquête menée sur RGE par l’UFC Que Choisir [foot]Magazine Que Choisir pp. 50-54 dans le n°526 juin 2014, dossier RGE, qui n’aura laissé indifférent personne. notre réponse à l’étude est disponible ici, les réactions de l’ordre des architectes (plutôt d’accord avec Que choisir), de Mr Maugard (qualibat) sur Xpair (plutôt pas d’accord), de la FFB (étude à charge)[/foot], « les résultats sont invisibles sur le terrain ». En effet, le dispositif RGE se limite à mettre des obligations de moyen contraignantes pour les professionnels, ce qui entrave l’innovation et le génie de l’adaptabilité sur chantier. A contrario, l’obligation de résultat permettrait d’atteindre bien plus simplement et plus efficacement les objectifs de performance. L’affichage du nombre de sinistres comptabilisés par les entreprises pourrait par exemple être utilisé très facilement.
Disparition programmée des petites entreprises générales du bâtiment
Alors que la liberté d’entreprendre continue d’être clamée, de nouvelles contraintes s’amoncellent chaque jour. Dans un contexte où la crise frappe, et alors que les petites entreprises artisanales sont un vivier d’emplois, leur survie est menacée par une bureaucratie croissante. Ces entreprises de proximité se font connaître avant tout par le bouche à oreille, sans qu’il y ai besoin de certification. Corréler écoconditionnalité des aides et certification RGE, c’est leur mort assurée.
Quand on voit qu’il faut une qualification par activité [foot]Cf. Témoignage[/foot], que le montage du dossier demande 1 à 2 semaines d’investissement, que la certification coûte en moyenne 287€ par an et par qualification… Quelle entreprise de taille petite ou moyenne pourra se le permettre ?
Déjà nombre d’artisans jettent l’éponge, découragés et dégoûtés ; ce seront autant de savoir-faire perdus, de services de proximité en moins et de chômeurs en plus.
Des délais de mise en place RGE intenables
L’objectif affiché conjointement par l’ADEME et les certificateurs est de 30 000 entreprises certifiées « RGE travaux » fin 2014, soit 10 % des 330 000 entreprises du bâtiment. Cela semble peu au regard des objectifs affichés par le Plan de Rénovation Énergétique de l’Habitat.
Trois ans après la mise en place du dispositif, seules 15 400 entreprises étaient certifiées RGE en mars 2014 au niveau national, d’après l’ADEME. Cela paraît très ambitieux d’imaginer doubler ce nombre en quelques mois.
Mais surtout, que va-t-il se passer au 1er juillet (si le décret sur l’écoconditionnalité des aides est promulgué), pour les 95 % de professionnels non certifiés comme pour les maîtres d’ouvrages à la recherche de professionnels ?
Besoin de vraies formations pour de vrais changements
Qui peut croire qu’en 4 jours de formations FEE Bat (plus que 3 dans la version actuellement à l’étude !), un vrai basculement des pratiques soit possible ? A l’heure où les politiques mises en place au niveau de la formation professionnelle vont dans le sens de plus d’individualisation des apprentissages, comment a-t-on pu élaborer une même formation pour la France entière, tous métiers confondus et tous niveaux initiaux ?
Dans le domaine de la santé, par exemple, le Développement Professionnel Continu (DPC) a aussi pour objectif l’évolution des pratiques. Si ce dispositif n’est pas parfait, il laisse le choix de formations très ouvert, ce sont les professionnels qui se donnent leurs propres objectifs et leur expérience est valorisée à travers l’analyse des pratiques professionnelles. Pour le DPC, aucun dossier de qualification coûteux et chronophage n’est à monter : il existe donc d’autres manières d’inciter à un changement des pratiques et sans forcément mettre les professionnels sous tutelle.
Dévoiement de l’esprit de la charte RGE dans son application par les certificateurs
Alors que la validation des acquis se généralise et alors que l’esprit de la charte et son décret d’application prévoient la possibilité d’un contrôle des connaissances sans obligation de formation, des pressions sont exercées pour que les certificateurs RGE exigent que les professionnels aient suivi un nombre précis de formation FEE Bat.
Bien entendu, les formations et l’expérience de terrain sont indispensables pour l’acquisition de ces savoir-faire multiples liés à l’intelligence de la situation. Cet apprentissage nécessite du temps… Il existe déjà des formations performantes à l’écoconstruction sur le territoire. Mais, bien que la charte RGE prévoit une équivalence pour ces diplômes, dans les faits, un professionnel ne peut actuellement pas demander une qualification RGE s’il ne suit pas une formation FEE Bat, quelques soient son expérience et ses diplômes antérieurs.
La mise en place opaque des formations FEE Bat au service de quelques uns
Grâce au système de Certificats d’Economie d’Energie, les formations FEE Bat bénéficient de financements très avantageux par rapport aux financements OPCA habituellement pratiqués (plus de 2 fois le montant Constructys). La mise en place de ces formations a été confiée par les signataires de la charte « RGE travaux »… aux signataires de la charte, et les appels d’offres lancés ont entre autres été remportés… par les organismes de formation des 2 Organisations Patronales signataires de la charte travaux (CAPEB et FFB).
Alors que le besoin en formation s’accroît et que les délais ne pourront pas être tenus, il n’a pas été relancé de nouvel appel d’offres pour des formations FEE Bat. Face à la demande des organismes de formation et pour répondre à l’urgence, la procédure « équivalent FEE Bat » a été mise en place par Qualibat. Désavouée par l’ADEME, cette procédure, hors de tout cadre réglementaire fixé, exige désormais une certification Certibat (2400€/an en moyenne).
Pour une mise à plat du système et la parution d’un décret permettant d’ouvrir de nouvelles formations, l’ADEME annonce sans rire le délais de 2015 ! De quoi assurer encore quelques mois de flou dont certains sauront tirer profit…
Alors que même les industriels sont « invités » à former les professionnels du chantier
C’est avec une vive émotion que nous avons découvert le volet de la charte RGE invitant les industriels et commerçants à former les professionnels. C’est pour le moins ce que l’on pourrait appeler un conflit d’intérêt, à ce qu’il nous semble. De plus, dans nos métiers de l’écoconstruction, le savoir-faire est au moins aussi important que les matériaux… Or, non seulement les professionnels aguerris ne peuvent former leurs pairs, mais en plus, ils sont sommés de se former également auprès de convertis de la dernière heure. Cette situation provoque beaucoup de colère chez les professionnels de terrain. Comment s’en étonner ?
Procédures discutables pour les certifications accordées par les organisations patronales
La CAPEB et la FFB, les syndicats patronaux du bâtiment signataires de la charte, sont également les organismes certificateurs RGE qui étaient incontournables jusqu’en décembre dernier (depuis il est possible de faire appel à Qualibat). Les certifications accordées sans suivre une procédure de type Qualibat font actuellement l’objet des premiers audits et les professionnels recalés sont légion.
Le dispositif ne court-il pas au fiasco et au scandale ?
Le RGE étude, une entrave au développement de l’efficacité énergétique
Le dispositif « RGE études » va également imposer de nouvelles contraintes administratives et financières aux bureaux d’études thermiques : il s’apparente à un dispositif de contrôle totalement inadapté à une activité souvent pionnière. Comment le bureau d’étude qui lutte déjà souvent pour sa survie financière, pourra t-il perdurer si à chaque fois qu’il développe une nouvelle compétence, il doit désormais justifier du nombre de fois où cette solution a déjà été mise en œuvre ?
Le résultat sera un coup d’arrêt à l’innovation en efficacité énergétique.
Incapable de juger sur le fond, oubliant les résultats, le dispositif RGE s’attaque seulement à la forme et aux moyens. Ce faisant, il impose à de toutes petites structures de déployer des moyens humains et financiers qu’elles ne peuvent pas assumer (temps d’administratif mobilisé sur ces dossiers, coût de la qualification) mais qui, en revanche, ne contraignent pas structures de taille plus importante.
Dans un contexte déjà criant de non-reconnaissance économique pour le travail de conception thermique des projets, le carcan « RGE études » risque d’accentuer la menace sur cette activité.
Une vraie conception thermique en amont négligée dans le dispositif
La certification Éco Artisan® impose l’achat et l’utilisation d’un logiciel de diagnostic thermique par les artisans du chantier. Or, pour qu’un diagnostic soit sérieux, il faut qu’il soit réalisé par un professionnel compétent ayant fait plusieurs années d’études (et non pas 3 jours). Encourager ces diagnostics « au rabais », c’est courir le risque de faire de mauvaises préconisations, c’est mépriser le travail des thermiciens et c’est faire reposer sur les professionnels du chantier de nouvelles contraintes non rémunérées.
Par ailleurs, qu’en est-il de l’assurance de ces prestations pouvant être assimilées à de la prescription ?
Être garant de l’environnement ne se limite pas à la thermique
Nous plaidons pour une prise en compte plus globale des problématiques de l’environnement dans le bâtiment (qualité de l’air, gestion de l’eau, bilan carbone, pollution électromagnétique, urbanisme…). Nous demandons à tendre vers une obligation de résultat également en terme de confort ressenti de l’individu, plutôt qu’une obligation de calculs théoriques jamais vérifiés.
Pour toutes les raisons que nous venons d’invoquer, nous vous prions, Madame la Ministre, de bien mesurer l’ampleur du désastre qui menace le secteur du bâtiment et de ne pas signer la convention d’écoconditionnalité RGE. Le développement durable et l’écoconstruction se trouvent plus entravés que favorisés par des systèmes aussi complexes (voire pernicieux).
Nous demandons un moratoire sur l’écoconditionnalité des aides pour que le décret ne soit pas signé ni pour le 1er juillet, ni plus tard ; ni pour le « RGE travaux », ni pour le « RGE études ». Ce délai devrait permettre la remise à plat du dispositif pour atteindre une réelle efficience thermique associée à une véritable progression de la qualité environnementale du bâti. Il est important que tous les acteurs de terrain soient associés à la démarche.
Nous demandons par ailleurs qu’une enquête parlementaire soit réalisée pour faire la lumière sur ce qui a conduit à de tels contresens et sur les bénéfices que des organisations auraient pu tirer de ce système.
Nous nous tenons à votre disposition pour vous faire part de nos idées et pour réfléchir à l’élaboration de systèmes simples et réellement efficaces et qui sont déjà mises en pratique localement pour faire progresser à la fois l’environnement et les économies pour le gouvernement et le contribuable.
Veuillez agréée, Madame La Ministre, l’expression de nos respectueuses salutations.
Le RÉSEAU Écobâtir, Approche-Écohabitat