La geste du réseau

par Jean-Jacques TOURNON – aujourd’hui le griot d’ « écobâtir »
novembre 2009 – Villeurbanne – Sainte-Croix Montluel

C’était, il y a très longtemps, l’époque où l’on ne connaissait ni Internet, ni le téléphone portable et que les termes de mondialisation et réchauffement planétaire ne signifiaient rien. En physique, la théorie des cordes n’avait pas encore ébranlé la vieille théorie de la relativité.

Une rencontre : Celle de Jean-Pierre Oliva, de DOMUS, un des premiers négociants en matériaux dits écologiques, et d’Olivier Davigo d’Ambiance Bois, dans une démarche sociale, travailler autrement- voire moins travailler.

Première fondation

En 1992 quelque part dans la Drôme dans la garrigue de Condorcet en juillet, chez Jean-Pierre Oliva. Une quinzaine de doux rêveurs engagés dans une démarche écologique et sociale de la construction, se réunissent sur
invitation de Domus et d’Ambiance Bois. Cette réunion avait pour but d’unir nos solitudes car nous oeuvrions pour ce qui allait s’appeler un jour l’éco-construction. Certains avaient apporté un bout de statut d’association 1901. Un nom a fait facilement unanimité « ÉCOBÂTIR ». Voyant que notre idée est géniale, nous craignons immédiatement l’entrisme de personnages peu recommandables. De cette parano est né le parrainage ainsi que l’agrément des nouveaux par l’Assemblée générale ou AG.

Un autre problème : qui sera le président ?

Dans la voiture au retour une idée surgit, une 1901 peut fonctionner sans président. Cette idée arrangeait tout le monde. Ambiance Bois vérifie auprès de la Préfecture et dépose les statuts après une AG fondatrice en 1993. La première adresse d’ »écobâtir » sera donc celle d’Ambiance Bois à Faux-la-Montagne. Un premier travail sur une charte « pour un habitat vivant en harmonie avec l’homme et la nature ».
Puis, pauvres, éloignés les uns des autres, peut-être un peu trop tôt, « écobâtir » s’assoupit, maintenue en vie par des rencontres de salons et des réunions informelles.

En 1999/2000, une bande dynamique de terreux

Vous savez ?: ceux qui construisent en terre même pas cuite… Il y avait de tout, des architectes, des maçons, des piseurs. Tellement dynamiques qu’ils vont au Secrétariat d’État à l’Économie Solidaire tout neuf de Guy Hascouët, et en repartent avec une promesse de subvention, mais il faut créer une association.
A une de leurs nombreuses réunions, Nicolas Meunier intervient : « qu’est-ce qu’on s’emmerde de faire des statuts ; ce que nous voulons se trouve déjà dans les statuts d’une association en sommeil dont je fais partie. Qu’on retrouve les autres membres et on fait une AG extraordinaire et on relance l’association « écobâtir »! ».

Deuxième fondation octobre 2000

Dans les Hautes-Alpes pas loin du Gabion de Richard Lacortiglia, Embrun, dans un cadre magnifique où souffle l’Esprit. Les anciens, les nouveaux, ceux qui sont pour que les terreux relancent « écobâtir », ceux qui sont contre, en disant qu’il y en avait assez avec la terre. Le débat fut riche et passionné, les décisions furent démocratiques et acceptées par tous. Les rites et les statuts sont respectés, les nouveaux membres sont parrainés par les anciens, un conseil d’administration ou CA provisoire est élu et un nouveau rendez-vous est pris, ce sera Wormouth dans le Nord. Vincent Rigassi devient le secrétaire et Marie Jamin, la seule femme présente, sera notre trésorière.

La concurrence ou plusieurs crocodiles dans le même marigot

À cette époque, le centre Terre Vivante organisait des conférences sur l’éco-construction et se proposait de fédérer les acteurs de la filière. Donc rencontre entre la nouvelle équipe d’ »écobâtir » et la mouvance Terre Vivante, Vincent Rigassi et Alain Marcom, Pascal Baeteman, Marcel Ruchon, confirment que les idées «écologie sociale» d »écobâtir » sont plus intéressantes qu’une mouvance attrape-tout.

La confirmation

À l’AG de Wormouth en mars 2001, on fait le boulot chiant: finir les statuts en les peaufinant et l’on rédige le règlement intérieur confirmant la notion d’égalité et de structure horizontale, AG décisionnelle et CA faible. Nous mettons en route le remaniement de la charte. Le Réseau écobâtir confirme son rôle national et, pour garder le contact, nous prenons la décision de faire deux AG par an. Le projet « écobâtir » est accepté par le Secrétariat d’État à l’Économie Solidaire sur une base pluriannuelle de 3 ans, la subvention servira à «animer» le réseau.

La Charte

La charte est remaniée par une petite équipe de passionnés. Une série de rencontres plus ou moins houleuses et finalement un texte « la charte d’ »écobâtir »». Ce texte sera voté sans amendement lors de l’AG de Bonneuil Matour en octobre 2001, organisée par Lourdes Malvido et ses amis.

Le dérapage : les statuts si tôt acceptés si tôt oubliés

Un « gugusse » fraîchement adhérent réussit l’exploit de se faire élire au CA et d’en devenir secrétaire et ceci en
contradiction avec les statuts. Et oui, l’argent de la subvention attire… Le CA commence ses conférences téléphoniques, doit gérer le personnage aux tendances autocratiques et finit par lui retirer la charge de secrétaire à l’AG de Carhaix (mai 2002). Dépité, le gugusse démissionne. L’AG de Carhaix: plus de 60 présents et seulement 8 votants car à jour de leur cotisation, on commence à respecter nos statuts.

Des sous

Le sherpa Vincent Rigassi revient de Paris avec la subvention pluriannuelle de 30 000 euros.

La sortie des conflits, l’organisation

– Charavines Novembre 2002 – Hôtel de la Poste L’argent de la subvention nous permet d’y réaliser l’AG d’automne.

Les réunions, les repas, les couchages sont dans le même lieu et le temps maussade favorise les contacts individuels. Le thème, « le confort thermique » permet les premières interventions brillantes de ce que l’on appellera plus tard les Journées d’ »écobâtir ». Quelques jours avant l’AG, Nicolas Meunier se rebelle «Comment ? on ne va pas manger BIO !» et complote avec le chef de cuisine. Nicolas amène la nourriture BIO et Dominique, le chef, en fait des repas de grande qualité (BIO et bons). Le CA rappelle qu’il n’a pas pour but l’hégémonie ni le pouvoir, mais il doit assurer la continuité du réseau entre les AG. Alain Marcom amène Jean-Pierre Oliva l’oublié de la deuxième fondation, organise la première prise de notes des journées et réalise le premier compte-rendu de qualité.
Le logo est pris en charge par Marcel Ruchon qui fait remarquer que « écobâtir » ne doit pas se cantonner aux maisons individuelles, aussi écologiques soit-elles. Décision aussi de créer un site internet, l’AG missionne Véronique Tallet.

– Toulouse juin 2003, le fief d’INVENTERRE dont Alain Marcom et Mary Jamin nous sont les plus connus et qui vient de passer du statut d’association à celui de SCOP (grâce à une loi qu’a fait voter Guy Hascouet).

Une volonté unanime des participants de travailler dans les ateliers : c’est important il faut produire ! Une douche froide : un texte d’introduction rédigé par Marcel Ruchon, lu par Mary Jamin «le réseau doit-il produire pour exister ?», dur ! Le débat sur «l’éco-construction au niveau de la ville», par la qualité des interventions, va déchaîner les passions, ce sera un grand moment de convivialité.

– Figanières novembre 2003, organisé par Michèle et Alain Poussange, se passe dans une ambiance de vacances,

il fait beau, on mange BIO, c’est la Provence. Du bonheur! Le débat porte sur les acteurs de la construction. Après un débat, « écobâtir » prend position contre la HQE.

– Cerniebaut mai 2004, dans un centre de vacances du Jura.

On termine le travail de Figanières sur HQE et valide un communiqué de presse donnant la position du Réseau écobâtir : «tout contre». Pierre Gaudin introduit l’électronique dans l’AG avec ordinateur et vidéo-projecteur. Résultat : plus de démocratie directe.

– Saint-Denis novembre 2004 :

c’est à la nécropole des Rois de France que l’on va parler des pratiques sociales dans l’éco-construction. Christian Marty SPL (Société des Palettes du Littoral, à vocation caritative) : « Nous avons dû réagir face à un problème de logement (personnes souvent logées au-dessus des bars, bagarres, alcoolisme…). Démarre alors un projet de construction de logements guidé par deux souhaits : respecter l’environnement, ainsi que proposer un travail nécessitant peu de qualifications. A l’inverse des projets allemands, certes écologiques mais très chers, il s’agissait d’intégrer ici la dimension sociétale. »
Rémi Beauvisage APIJ (Association pour l’insertion des jeunes et des adultes) née en 1986. Je cite : «une réflexion sur les répercussions désastreuses en terme social, culturel, architectural et économique sur le mal bâti».
Marie Jamin nous parle du deuxième sexe, l’égalité homme femme, c’est pas gagné et l’entrée des femmes dans l’univers machiste du BTP (bâtiment et travaux publics) n’est qu’à son tout début, les femmes devant faire face à de nombreux préjugés sur la division sexiste du travail.

– Publier mai 2005 :

ce sont les terriens des Alpes, Vincent Buisson et Philippe Bouvet, qui nous emmènent en bateau ! La Savoie, un bateau aux larges oreilles : les voiles, et qui autrefois transportait les pierres de construction pour la ville de Genève, nous permet d’apprécier le paysage vu du Lac Léman.

– Belleville sur Saône décembre 2005 dans les chais de la famille de Samuel Dugelay.

Le thème «la formation» nous a permis de faire une étude approfondie des différents crus du Beaujolais…

– Bazouges-sous-Hédé mai 2006, la Bretagne profonde.

Visite, avec Yvan Saint-Jours du journal La Maison Écologique, d’un lotissement écologique : constructions en terre, en bois, récupération des eaux de pluies etc, qui suscitera un débat vif et contradictoire. C’est à cette AG que nous découvrons qu' »écobâtir » peu fonctionner sans subvention.

Le plagia

Nous apprenons, en août 2006, qu’une société du nom de Sepelcom -de Lyon- a déposé pour un de ses nombreux salons la marque écobâtir avec un logo presque à l’identique du nôtre (un quasi copié/collé). Ce salon se déroulera en février 2007. Cette annonce crée un débat intense dans le réseau : les bellicistes et les pacifistes s’affrontaient sur le forum d’ »écobâtir ». Un avocat consulté, Jean-Marc Bazy se lance un peu vite dans la bataille en faisant une lettre d’injonction à Sepelcom.

L’attaque

Malgré l’accueil chaleureux de Pierre Gaudin, Michel Déom et Christian Marty, membres d’une communauté catholique à vocation caritative de réinsertion et de construction de bâtiment écologique pour les personnes en difficulté, l’atmosphère était lourde à notre AG de novembre 2006 à Landrethun-le-Nord. Puis nous nous ressaisissons, l’AG plénière vote une série de résolutions pour mettre « écobâtir » en ordre de bataille,
décide d’entamer une action en justice, et désigne Jeanne-Marie Gentilleau comme unique responsable du dossier. Elle sera notre valeureuse Générale. Jeanne-Marie est soutenue par les Dames d’ »écobâtir » qui vont l’alimenter en informations afin que le dossier fourni à l’avocat soit défendable. Jeanne-Marie réussit même à contrôler la fougue de notre avocat Jean-Marc Bazy. Un coup de chapeau à Vincent Rigassi qui, avec son à propos et la précision de ses interventions, a donné l’argument juridique décisif qui permet à notre avocat de voler à la victoire. L’argument était simple : une association 1901 peut fonctionner sans président.

– La Roquette mai 2007 : un lieu improbable, un bout du monde loin de toute civilisation routière.

Peuplé de ruines de la civilisation des Camisards (protestants Cévenoles), le thème: « les normes, pièges ou solutions ».

– Puycasquier novembre 2007 : Nous avons gagné.

Les fonctionnaires de justice nous donnent raison, mais vivant dans un monde à part, ils nous indemnisent peu et les tensions engendrées par ce combat nous font presque oublier qu’ »écobâtir » association 1901 a gagné un procès contre une puissante société, et ce, en matière de propriété commerciale. Les quelques études sur le sujet montrent que notre probabilité de l’emporter était faible et c’est notre détermination qui a fait la différence.

– Noyant-la-Gravoyère mai 2008 dans les carrières d’ardoise, le thème : « Réhabilitation de l’habitat » et information sur l’évolution du Grenelle.

– Saint Etienne décembre 2008 avec une invitée surprise, la neige, sur les terres du professeur Marcel Ruchon avec un thème «éco-construire la ville».

Intervention dans le grand amphithéâtre de l’École d’architecture.

Les schpountzs

Les journées d’ »écobâtir » ont eu souvent leurs schpountzs, personnages pittoresques, extravagants, un peu illuminés.

– Guéret mai 2009, il s’est mué en porteur de bonne nouvelle : «vous les écolos, vous avez entièrement raison, mais il ne faut pas être sectaires, il y a quand même le monde normal, venez nous rejoindre dans le monde normal».

Et aussi une expérience salutaire, la mauvaise prestation du traiteur, nous rappelle que rien n’est jamais gagné.

– Pour finir aux journées d’ »écobâtir » de Sainte Croix, une des petites mains d’ « écobâtir » toujours présente, toujours fidèle, toujours active, toujours au combat! Elle fait partie des grands anciens, elle est l’hôtesse et l’organisatrice bien accompagnée de ces journées, je nomme Marie-Hélène Allemann.

J’ai parlé de l’histoire, elle va vous parler de la préhistoire.

Nota : Quelques préjugés (lieux communs si souvent répétés qu’ils font figure de vérité)

Une association 1901 ne peut pas fonctionner sans président.
Chez « écobâtir », il n’y a pas de président.

Une association 1901 doit avoir des permanents salariés pour fonctionner.
Chez « écobâtir », il n’y a pas de salariés.

Une association 1901 nationale doit se réunir à Paris centre de la France.
Chez « écobâtir », on fait des AG foraines sur tout le territoire.

Une association 1901 nationale doit être subventionnée pour vivre.
Chez « écobâtir »,on fonctionne sans subvention.

Une association 1901 doit élire à son CA les membres les plus compétents.
Chez « écobâtir »,le CA est un lieu de formation.

Jean-Jacques Tournon en griot …